Le masque grec
Article rédigé par Jean-Philippe Delsol le 03 Mar 2010
La Grèce est au cœur de la tourmente, non seulement parce qu’elle connaît, comme d’autres pays, des déficits abyssaux de ses comptes publics, mais aussi et peut-être surtout parce qu’elle est accusée d’avoir triché. Analyse de Jean-Philippe Delsol.
Certes l’Etat grec, comme beaucoup d’autres, a utilisé des techniques financières sophistiquées pour améliorer la présentation de ses comptes, et la vigilance des autorités européennes et des agences de notation, une fois de plus, a été prise en défaut.
Mais c’est bien le dérapage des dépenses publiques qui a été à l’origine de la crise, et les pays de l’Euroland qui s’érigent en juges sévères (mais volent au secours de l’accusé) prennent le masque de la vertu, alors que leur dette a connu une progression déraisonnable. Le FMI les rappelle à leurs propres obligations : ils doivent réduire leurs dépenses, et cesser de gaspiller l’argent public
Le jeu financier
La dette publique grecque est donc sous enquête pour avoir, semble-t-il, fait l’objet de swaps de devises qui en auraient réduit artificiellement le montant. La banque Américaine Goldman Sachs est dans le collimateur de la FED pour s’être livrée à des opérations de swap. En principe, il n’y a rien d’artificiel ni rien d’irrégulier à ce jeu financier. Les swaps sont des échanges qui peuvent porter sur des taux d’intérêt, des devises ou autres. Un créancier qui détient une créance de 10 millions d’euros remboursable en 10 ans au taux de 3% l’an peut trouver à l’échanger contre une créance de 8 millions d’euros remboursable en 5 ans au taux de 8% l’an. Un créancier qui détient une créance de 10 millions d’euros sur une banque islandaise, en péril, peut trouver à l’échanger contre une créance de 5 millions d’euros au même taux et de même durée sur la BNP. Dans chaque cas, il s’agit du libre jeu des acteurs financiers, selon leur choix et le risque qu’ils sont prêts à prendre. Il en va de même en matière de swaps de devises : certains créanciers seraient sans doute heureux d’échanger une créance de plusieurs trillons de dollars du Zimbabwe contre une créance de quelques millions d’euros sur la Grèce et celle-ci a pu proposer a ses créanciers de leur rembourser moins d’argent mais à des taux, des durées et dans des devises préférées par eux.
Il n’est pas certain que la Grèce ait gagné globalement à ce jeu, mais avec la complicité de Godman Sachs, elle a ainsi amélioré la présentation de ses comptes, et c’est ce qui lui est reproché. Pourtant ce gain a été marginal. Les transactions incriminées, réalisées en 2001, auraient abaissé la dette grecque de 2,367 milliards d’euros, faisant passer celle-ci de 105,3 à 103,7% du PIB sur la période concernée. Après tout, ce fut son choix, et si la configuration nouvelle de cette dette devait faire supporter au budget grec un fardeau plus lourd, les agences de notation auraient dû le prendre en compte.
Les Européens malades de la dette
La vérité est sans doute que si la Grèce a eu recours à ces techniques financières et, à tort, les a partiellement occultées, c’est d’abord parce qu’elle s’est largement affranchie des règles de Maastricht. Elle n’a pas respecté la fameuse (mais déjà généreuse) limitation du montant total de la dette à 60% du PIB. Est-elle la seule dans ce cas ? Sans doute la Grèce a-t-elle été l’un des plus mauvais élèves de la classe européenne : la première à déraper, et la plus audacieuse dans ses dérapages. Mais le gros du peloton européen est dans le même cas aujourd’hui.
La vérité est donc surtout que la Grèce, comme tant d’autres pays dans le monde, a emprunté sans compter, pendant trop longtemps, parce qu’elle a trop dépensé. Et c’est le marché financier international, c'est-à-dire la communauté des prêteurs potentiels du monde entier, qui est venu sanctionner ses incartades en augmentant les taux d’intérêt requis pour de nouveaux emprunts. Ce n’est pas l’autorité européenne, si sévère dans son jugement aujourd’hui, qui a rappelé les Grecs à ses devoirs. Bien au contraire voilà des années que l’on ferme les yeux à Bruxelles sur les débordements d’Athènes. Et ce que font aujourd’hui les partenaires européens c’est tenter d’atténuer la sanction du marché – au prix d’un tour de passe-passe qui vaut bien celui de Goldman Sachs !
Dès lors, le remède n’est pas d’accroître plus encore des règlementations européennes déjà incapables de contrôler la dette des Etats, mais bien plutôt de réduire les charges publiques. C’est d’ailleurs, pour une fois, la bonne recommandation du FMI. Constatant que les dettes publiques mondiales vont passer de 60% des produits intérieurs bruts en 2007 à 109% en 2014, il préconise dans une note du 23 février dernier de revenir au ratio de 60% en... 2020, en supprimant les mesures de soutien (1,5% du PIB) et en procédant à une réduction drastique des dépenses publiques ou pour le moins à leur stabilisation s’agissant de la santé et des retraites. Certes le FMI considère d’autre part une hausse des impôts comme inévitable, ce qui est contraire aux principes d’une politique de l’offre, pourtant indispensable à une reprise vigoureuse. Mais il est toutefois rassurant de voir les Keynésiens du FMI, Olivier Blanchard en tête, prendre enfin conscience du problème des dépenses publiques.
Gaspillage de l’argent public
L’existence de l’euro comme monnaie unique empêche les dévaluations et elle aura peut-être comme mérite de contraindre les Etats de l’Euroland à s’auto-discipliner. Il faudra alors qu’ils reconnaissent que le seul moyen de réduire les dépenses, c’est de rendre aux citoyens la liberté et la responsabilité de se procurer ces fameux « biens publics » qui n’en sont pas, puisque la plupart d’entre eux sont des biens susceptibles d’être offerts sur un marché par des entreprises privées.
C’est vrai pour les retraites que les systèmes de capitalisation peuvent rendre à la responsabilité de chacun.
C’est vrai pour la santé, dont la couverture devrait être laissée à la liberté de chaque foyer auprès d’assureurs privés. Sur ce dernier point, les projets de réforme Obama ne vont pas dans le bon sens, puisqu’ils introduisent des interventions de l’administration publique (au niveau fédéral ou des Etats ?) dans un marché des assurances aujourd’hui coûteux mais ouvert. Les électeurs américains, un instant abusés par le candidat Obama, semblent désormais s’en aviser.
C’est vrai pour tout ou presque. Dans un petit ouvrage remarquablement bien fait, Contribuables Associés vient, sous le titre du « Livre noir des gaspillages de l’argent public », de donner par dizaines des exemples de dépenses publiques inutiles ou excessives et notamment de souligner combien les organismes publics sont prodigues, alors que les entreprises privées sont économes. La Cour des comptes a relevé dans son rapport d’octobre 2009 sur France Télévisions que cette entreprise publique avait 11000 salariés, contre 3800 à TF1, la masse salariale représentant 30% du chiffre d’affaires du groupe public, contre 16% à TF1.
La fin de l’Etat providence ?
L’acuité du problème est la même partout, mais partout aussi il ne reçoit pas l’attention qu’il mérite. A cet égard, ce qui vient de se dérouler en Allemagne, et la crise politique qui en découle, sont assez révélateurs.
En annulant la réforme Hartz IV introduite en 2004 par l’ancien chancelier Gerhard Schröder pour pousser les chômeurs à reprendre le travail en limitant leurs indemnités, la Cour constitutionnelle allemande n’a pas pris la mesure de la situation. Cette décision va obliger le gouvernement à relever les minimums sociaux : charge supplémentaire pour le budget, et nouveau pas en avant dans la redistribution.
Le ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier libéral, Guido Westerwelle, n’a donc pas eu tort de comparer l’État providence allemand à la Rome de la « décadence » « Comme si c’était un réflexe pavlovien, on dit que désormais il ne peut plus y avoir d’allégements fiscaux pour les citoyens, parce que l’argent doit être utilisé pour augmenter les prestations sociales », s’est emporté le ministre libéral, qui va même jusqu’à proposer la suppression du système Hartz IV par la simple garantie d’un « revenu citoyen », moins coûteux et moins généreux. Dans le domaine de la santé, le FDP (Partis libéral démocrate) souhaite aussi introduire des cotisations fixes, indépendantes des revenus des salariés. Il souhaite, en clair, en revenir à un système d’assurance plutôt qu’à un système de redistribution coûteux, illisible et déresponsabilisant. Mais le Président du FDP a recueilli contre lui l’unanimité du monde politiquement correct, et une crise est ouverte au sein de la coalition CDU-FDP.
Incontestablement, en Allemagne, la classe politique ne veut pas décrocher de la philosophie de l’Etat Providence, qui est à l’origine de tous les dérèglements des finances publiques, en particulier au sein de l’Euroland. Comme les animaux malades de la peste, « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient atteints », mais c’est finalement sur « ce pelé, ce galeux d’où venaient tous leurs maux » que l’on s’acharne.
Le masque que la Grèce a jeté indûment sur ses finances publiques permet de désigner et stigmatiser un bouc émissaire ; il sert aux autres Etats européens à masquer leurs propres problèmes. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour convaincre les citoyens qu’ils ont intérêt à gérer leurs affaires plutôt que de les laisser entre les mains des Etats dispendieux, dont les largesses sont incontrôlées.
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