Le méchant tour de passe-passe du banquier de Goldman Sachs
Les banques centrales se sont fait une spécialité de racheter la dette des États en difficulté.
Depuis 2008 l'Europe, le Royaume-Uni, le Japon, Israël ou les États-Unis se sont adonnés à cette activité dont il est important de bien comprendre le mécanisme : il est sur le point de nous sauter à la figure.
Aux États-Unis, quand la Réserve Fédérale achète un dollar de dette, elle soulage le Trésor américain qui n'a pas besoin de persuader un autre créancier d'acheter sa dette. C'est ainsi que la dette américaine a pu exploser de 10 500 à 16 000 milliards de dollars depuis 2008... C'est-à-dire autant en 8 ans que durant tout le XXe siècle.
Il n'en reste pas moins que le Trésor doit payer les intérêts de cette dette à la Fed. L'institution a d'ailleurs générée des profits records de 100 milliards de dollars en 2015... Mais ces profits ont été immédiatement reversés à l'actionnaire unique de la Fed : le Trésor américain.
Le Trésor paie donc des intérêts à la Fed qui les lui reverse par la suite sous forme de dividende : grâce à la Fed, les États-Unis s'endettent GRATUITEMENT, du moins tant que le dollar reste la monnaie de référence dont tout le monde a besoin pour ses échanges.
Malheureusement ce n'est pas aussi simple en Europe.
La Banque Centrale Européenne n'a pas le droit d'acheter directement de la dette aux États membres de la zone. Elle a contourné le problème avec beaucoup de mauvaise foi en rachetant à partir de 2010 de la dette a des investisseurs privés, des banques, des assureurs, des fonds d'investissement, qui détenaient déjà des dettes souveraines, ce que l'on appelle "le marché secondaire".
Mais quand la Banque centrale Européenne rachète un euro de dette italienne à ces investisseurs privés, ils réinvestissent immédiatement cet euro... En Allemagne.
Si nous n'étions pas dans l'Euro, cela s'appellerait une fuite massive de capitaux, un jeu de massacre obligeant l'Italie à la dévaluation et l'Allemagne à la ré-évaluation.
L'Euro ne fait malheureusement que masquer le problème sans le traiter, le laissant tout au contraire s'étendre, enfler, puruler.
L'Europe, ce n'est pas du tout comme la France ou les États-Unis :
Un euro italien, cela ne vaut pas un euro allemand.
Dans la zone Euro, même si l'on n'en parle pas trop, on fait les comptes entre banques centrales : on fait monnaie commune mais pas compte commun. C'est le système dont vous entendez Peut-être parler sous le nom barbare de TARGET 2.
Traduction : il y a bien des euros allemands et des euros italiens, français, espagnols...
Ce n'est pas nouveau. Si je vous écris cette chronique aujourd'hui, c'est que les banques centrales italienne et espagnole sont dans le rouge de plus de 300 milliards d'euros chacune auprès de la BCE tandis que l'Allemagne a près de 800 milliards d'euros à son crédit.
En bref, l'Italie et l'Espagne doivent chacune 300 milliards d'euros à l'Allemagne (le solde de la France est quant-à-lui légèrement négatif).
Mais attention, ces 300 milliards ne sont pas comptés dans la dette de l'Italie et de l'Espagne. Ils viennent en plus !
L'Allemagne ne leur a d'ailleurs pas prêté cet argent.
Non. Les investisseurs italiens et espagnols, qui bénéficient de la liberté de circulation de l'Euro, préfèrent simplement placer leurs deniers dans l'économie allemande plutôt que dans leur propre pays. Jusque-là, pas de quoi s'étonner.
Mais pour éviter d'assécher ces 2 grosses économies du sud de l'Europe en laissant filer l'argent vers le géant teuton, la BCE se contente de... ne pas rééquilibrer les comptes en affirmant main sur le cœur que ce n'est pas grave du tout, pendant que l'autre main achète toutes les dettes qu'elle peut, injectant ainsi des tombereaux de liquidités en Italie et en Espagne qui se dépêchent de prendre le chemin de l'Allemagne.
Et cela fait 5 ans que cela dure, depuis la crise des dettes souveraines, c'était en 2011-2012.
Pendant ce temps-là, aucune réforme structurelle n'a été faite. Les déséquilibres se creusent, la confiance s'étiole et il faut réinjecter plus de liquidités encore... Qui convergent de plus en plus vite vers l'Allemagne. Le remède est pire que le mal.
Le graphique ci-dessous montre les balances des paiements respectives des banques centrales de la zone euro depuis l'an 2000.
Vous pouvez voir la première crise des dettes souveraines qui atteint son paroxysme en octobre 2012, moment où la BCE annonce un programme illimité de rachat de dettes. La politique est efficace dans un premier temps avant de se révéler à double tranchant — en haut, la courbe bleu ciel c'est la balance de l'Allemagne, en bas en rouge et en vert, l'Espagne et l'Italie :
Nous nous apercevons aujourd'hui que tous les efforts de la BCE ne suffisent plus à masquer les déséquilibres au sein de la zone Euro.
Nous retrouvons les niveaux intenables auxquels avaient conduits la crise de 2012 malgré l'intervention actuelle et massive de la BCE.
Depuis 5 ans, nous avons remis à demain le jour des comptes. Nous avons laissé l'équilibre fragile de la zone Euro se détériorer grâce aux tours de passe-passe de Mario Draghi, le président de la BCE.
C'est comme si le docteur Draghi nous avait prescrit des anti-inflammatoires à haute dose pour masquer la douleur sans traiter la cause du mal. Que diriez-vous de ce médecin ?
Ce qu'à fait la BCE, c'est littéralement mettre la poussière sous le tapis et les cadavres dans le placard. Mais comment s'en étonner de la part de M. Draghi qui avait auparavant présidé au sein de la banque Goldman-Sachs le département responsable du trucage des comptes de la Grèce pour la faire entrer dans l'Euro.
Il y a un petit côté soviétique à cette situation où l'essentiel ce sont les chiffres, des indicateurs qui ont perdu toute pertinence mais que l'on vous brandit comme des totems : ces taux d'intérêts et d'inflation, mille fois manipulés... Comme ces usines à chaussures qui sortaient fièrement des millions de godillots pour les ouvrier de l'URSS... Tous en taille 32 pour économiser la matière et atteindre plus vite les objectifs.
C'est d'ailleurs à l'URSS que Philippe Séguin comparait déjà l'Europe du traité de Maastricht, dans un discours célèbre en 1992 contre la perte de souveraineté à laquelle conduisait la marche vers la monnaie unique, vers l'Euro :
"Voilà maintenant 35 ans que le traité de Rome a été signé. Et d'acte unique en règlements, de règlements en directives, de directives en jurisprudences, la construction européenne se fait sans les peuples. Elle se fait en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair obscur des cours de justices. Voilà 35 ans que toute une oligarchie de technocrates, d'experts, de juges, de gouvernants prend au nom des peuples sans en avoir reçu mandat des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences." [1]
Il continuait dans un face-à-face avec François Mitterrand sur une citation du général De Gaulle :
"Le Général de Gaulle disait : "Pour moi, la démocratie est inséparable de la souveraineté nationale"... La démocratie c'est l'acceptation par une minorité de la loi de la majorité. Et ce n'est pas rien... Je crois qu'un français du Nord accepte de se faire mettre en minorité par une coalition de Français de l'Est de l'Ouest ou du Sud parce qu'ils ont ensemble un sentiment d'appartenance commune très fort. Je ne suis pas certain en l'état actuel que si les Français avaient refusé quelque chose, qu'une une majorité d'autres pays puissent la leur imposer." [2]
C'est exactement ce qui est en train de se passer. Les Allemands ont décidé qu'ils ne paieraient pas pour la Grèce, l'Italie, l'Espagne.
Mais ce que les Allemands ont toujours clamés, à tort ou à raison, mais comme étant de leur souveraineté... Mario Draghi l'a fait, en catimini. Il a permis le transfert de 800 milliards d'euros de l'Allemagne vers le reste de la zone, dont 600 rien que pour l'Italie et l'Espagne.
Pour le moment ce n'est que virtuel. Qu'une ligne dans une balance de paiements.
Mais le vent tourne.
La BCE ne peut racheter éternellement les dettes des États membres. Ne seraient-ce qu'à cause des Allemands qui goûtent de moins en moins la supercherie.
Les taux remontent comme un souffle précédent la tempête en France, en Italie, en Espagne, au Portugal.
Un article de Bruno Bertez paru dans l'Agefi Suisse notait hier : "Cette semaine, dans l'indifférence générale, les taux européens ont monté, les spreads de risque se sont dilatés, le désordre est revenu. Les taux italiens ont fait un bond de 22 pbs à 2,23%, on est au plus haut de juillet 2015; les taux portugais ont bondi de 32 pbs à 4,14%. Les taux français ont bondi de 13 pbs à 1,03%, plus haut de juillet 2015 et surtout, le spread entre les OAT et les Bunds s'est élargi de 9 pbs, à 57 pbs. Tout cela ne sent pas bon." [3]
Il n'y a alors que 2 solutions :
• Soit l'Allemagne accepte de payer pour l'Italie, l'Espagne et les autres en organisant un transfert de richesse comme cela se fait par exemple entre l'Île-de-France et la Corse ou les Hauts-de-France. Mais l'Allemagne a d'ores-et-déjà annoncé que cela ne serait qu'au prix d'une intégration politique forcée : l'Allemagne ne veut pas être solidaire de pays dont elle désapprouve la politique.
• Soit il faut acter le retour aux monnaies nationales : la Lire, le Deutsche Mark, le Franc dont l'Euro n'est à ce stade qu'un piètre succédané.
Mais pour la seconde solution, M. Draghi a prévenu : en cas de sortie de l'union monétaire, l'Italie devra payer la facture. Ce qui finit généralement en hyper-inflation et monnaie de singe.
Quant à l'intégration, le Royaume-Uni dit NON, l'Italie dit NON et sans doute la liste est-elle encore longue, incluant les Pays-Bas et éventuellement la France — Marine Le Pen ayant promis un referendum en cas de victoire. À tel point que le président slovaque Robert Fico qui présidait jusqu'au 1er janvier le Conseil de l'Europe a supplié les États membres d'arrêter les referendums sur l'Europe [4].
Le miracle de la monnaie unique s'avère un pacte avec le diable. La soviétisation que pressentait Séguin dès l'origine est à l'œuvre. Il faut préserver le système coûte que coûte, y compris contre ses bénéficiaires.
Les partisans du progrès et ceux de la souveraineté s'affronteront cette année lors des élections françaises et allemandes.
C'est une année à haut risque pour l'Euro.
Souvenez-vous, un euro allemand n'a pas la même valeur qu'un euro italien, espagnol ou français :
• Si vous avez des économies dans des fonds euros, regardez la répartition géographique de ces fonds (si ce n'est déjà fait), aussi bien pour les obligations que pour les actions. Généralement, les expositions sont faibles et les gérants ont pris des dispositions au moment de la première crise des dettes souveraines en 2012 mais cela vaut le coup de vérifier ;
• Si vous souhaitez investir dans de l'immobilier locatif, Berlin a le vent en poupe bien plus que les côtes espagnoles ou azuréennes.
• Il y a aussi l'assurance vie luxembourgeoise que j'ai déjà évoqué dans de précédentes lettres.
Sans parler des placements dans des monnaies étrangères et métaux précieux pour vous assurer contre un risque de défaut de l'Euro, qui est certes incertain mais non pas chimérique.
À votre bonne fortune,
Olivier Perrin,
Le vaillant petit économiste
[1]
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[2]
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