voici ce que m'envoie Maxime:
Point de vue
Eloge de la repentance, par Marc Olivier Baruch
LE MONDE | 11.05.07 | 13h24 • Mis à jour le 11.05.07 | 13h24
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a rupture est là, pas nécessairement tranquille : avant même sa prise de fonctions, en deux interventions dont les termes n'ont vraisemblablement pas été choisis à la légère, Nicolas Sarkozy a détruit l'un des principaux acquis de la présidence de Jacques Chirac : la reconnaissance solennelle de la place prise par la France, par l'Etat français, dans la Shoah. Ecoutons le président élu : à Nice, le 30 mars, il se place du côté de "ceux qui pensent que la France n'a pas à rougir de son histoire ; elle n'a pas commis de génocide". Trois semaines plus tard, à Rouen, il affirme vouloir "remettre la France à l'honneur" en dénonçant "la repentance, mode exécrable à laquelle je vous demande de tourner le dos".
Certes, véritable Fregoli politique, le futur président peut à dix jours d'intervalle tenir de tels propos en Normandie et aller, à la veille du second tour, se recueillir aux Glières, en présence du fils et du petit-fils de Tom Morel, chef des résistants qui y affrontèrent, en mars 1944, les nazis et la Milice. Il peut, ce faisant, se targuer de précédents illustres : trois au moins de ses prédécesseurs à la tête de l'Etat - Charles de Gaulle, Georges Pompidou et François Mitterrand - avaient déjà procédé à de tels grands écarts, au nom de l'union nationale.
Chacun était, ce faisant, porteur de sa propre histoire : le général de Gaulle pouvait presque tout se permettre, au nom de la légitimité du geste du 18 juin 1940 - geste de dissident au demeurant, et Vichy ne se fit pas faute de lui reprocher, déjà, de porter atteinte à l'unité nationale. Il en allait tout autrement de Georges Pompidou et de François Mitterrand ; ni la grâce donnée par le premier à Paul Touvier - au motif qu'il convenait d'oublier "cette triste période où les Français ne s'aimaient pas", expression empruntée à Maurras - ni l'amitié persistante du second pour René Bousquet ne grandirent leur septennat.
C'est précisément parce qu'il rompit avec cette complaisance ambiguë envers des hommes (des Français, membres d'organisations officielles de l'Etat français) ayant participé au génocide, au crime contre l'humanité, que le discours prononcé par Jacques Chirac le 12 juillet 1995 fut un moment d'histoire de la France. Et c'est pourquoi on ne peut plus faire aujourd'hui du de Gaulle, et encore moins du Pompidou, après la double présidence Mitterrand et après les procès des années 1990 qui virent la condamnation de Paul Touvier puis de Maurice Papon.
Un discours de campagne électorale est nécessairement schématique. Il n'en relève pas moins d'une idéologie, et celle portée par Nicolas Sarkozy et ses plumes a le mérite de la clarté. Pour eux, il n'y a qu'une France, celle-là même que Lavisse, l'instituteur national, présentait en ces termes : "Il faut aimer la France, parce que la nature l'a faite belle et parce que l'histoire l'a faite grande."Mais il s'adressait aux élèves du cours moyen, et c'était en 1903. Il a fallu près de dix ans, et sept gros volumes, à Pierre Nora et aux 130 historiens réunis autour de lui dans la vaste entreprise des Lieux de mémoire (Gallimard, 1984-1997) pour souligner qu'au rebours des conceptions trop simples notre histoire est riche de plusieurs conceptions de la nation et de la République, et donc qu'il existe à la fois la France et des France.
Pour ne prendre qu'un exemple, que je crois probant, la seconde guerre mondiale ne fut pas autre chose que le combat de deux France, qu'il est légitime à chacun, fort de ses convictions, d'opposer ; il est même légitime de haïr l'une des deux. La repentance alors, loin d'être un acte masochiste, n'est-elle pas au contraire un acte de lucidité, de respect aussi devant le courage de ceux qui, de cette haine envers une certaine France, tirèrent la force de se battre contre elle et contre l'idéologie qu'elle servait, la force aussi de mourir, parfois de manière atroce ?
La repentance - celle des évêques de France en 1997 comme celle voulue deux ans plus tôt, au nom de la France, par celui qui en était le président - entendait simplement rappeler qu'il arrive que les institutions fassent, au nom de la raison d'Etat ou par erreur de jugement, des erreurs, dont les conséquences peuvent être terribles. Comme le disait un des principaux adeptes de la "mode exécrable" qu'il va être de bon ton désormais de dénoncer dans les palais de la République, "reconnaître les fléchissements d'hier est un acte de loyauté et de courage qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d'aujourd'hui et nous prépare à les affronter". L'homme qui a publiquement fait, en 1994, cette déclaration s'appelait Jean-Paul II.
L'histoire n'est la propriété de personne, et chacun est libre - dans les limites posées par la loi - de l'instrumentaliser comme il l'entend. Si la parole d'un président de la République pèse évidemment d'un poids particulier - surtout s'il prétend parler au nom de tous les Français -, rien ne l'empêche de faire l'histoire qu'il veut, et de faire de l'histoire ce qu'il veut. Il peut même, de manière plus générale, faire publiquement part de ses points de vue - il y a eu des précédents dans l'histoire - sur la génétique, sur l'existence de Dieu et, pourquoi pas, s'il en a envie, sur le cours des planètes.
Qu'il sache simplement que, pour ce qui nous concerne, l'histoire dont il rêve à voix haute n'a rien à voir avec celle des historiens. Sur ce front aussi, il conviendra donc d'être vigilant, et de ne pas laisser la mauvaise herbe de la mémoire officielle recouvrir le champ d'histoire que Jacques Chirac avait courageusement et utilement défriché.
Marc Olivier Baruch, historien, est spécialiste de la seconde guerre mondiale et directeur d'études à l'EHESS.
Article paru dans l'édition du 12.05.07
Point de vue
Eloge de la repentance, par Marc Olivier Baruch
LE MONDE | 11.05.07 | 13h24 • Mis à jour le 11.05.07 | 13h24
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a rupture est là, pas nécessairement tranquille : avant même sa prise de fonctions, en deux interventions dont les termes n'ont vraisemblablement pas été choisis à la légère, Nicolas Sarkozy a détruit l'un des principaux acquis de la présidence de Jacques Chirac : la reconnaissance solennelle de la place prise par la France, par l'Etat français, dans la Shoah. Ecoutons le président élu : à Nice, le 30 mars, il se place du côté de "ceux qui pensent que la France n'a pas à rougir de son histoire ; elle n'a pas commis de génocide". Trois semaines plus tard, à Rouen, il affirme vouloir "remettre la France à l'honneur" en dénonçant "la repentance, mode exécrable à laquelle je vous demande de tourner le dos".
Certes, véritable Fregoli politique, le futur président peut à dix jours d'intervalle tenir de tels propos en Normandie et aller, à la veille du second tour, se recueillir aux Glières, en présence du fils et du petit-fils de Tom Morel, chef des résistants qui y affrontèrent, en mars 1944, les nazis et la Milice. Il peut, ce faisant, se targuer de précédents illustres : trois au moins de ses prédécesseurs à la tête de l'Etat - Charles de Gaulle, Georges Pompidou et François Mitterrand - avaient déjà procédé à de tels grands écarts, au nom de l'union nationale.
Chacun était, ce faisant, porteur de sa propre histoire : le général de Gaulle pouvait presque tout se permettre, au nom de la légitimité du geste du 18 juin 1940 - geste de dissident au demeurant, et Vichy ne se fit pas faute de lui reprocher, déjà, de porter atteinte à l'unité nationale. Il en allait tout autrement de Georges Pompidou et de François Mitterrand ; ni la grâce donnée par le premier à Paul Touvier - au motif qu'il convenait d'oublier "cette triste période où les Français ne s'aimaient pas", expression empruntée à Maurras - ni l'amitié persistante du second pour René Bousquet ne grandirent leur septennat.
C'est précisément parce qu'il rompit avec cette complaisance ambiguë envers des hommes (des Français, membres d'organisations officielles de l'Etat français) ayant participé au génocide, au crime contre l'humanité, que le discours prononcé par Jacques Chirac le 12 juillet 1995 fut un moment d'histoire de la France. Et c'est pourquoi on ne peut plus faire aujourd'hui du de Gaulle, et encore moins du Pompidou, après la double présidence Mitterrand et après les procès des années 1990 qui virent la condamnation de Paul Touvier puis de Maurice Papon.
Un discours de campagne électorale est nécessairement schématique. Il n'en relève pas moins d'une idéologie, et celle portée par Nicolas Sarkozy et ses plumes a le mérite de la clarté. Pour eux, il n'y a qu'une France, celle-là même que Lavisse, l'instituteur national, présentait en ces termes : "Il faut aimer la France, parce que la nature l'a faite belle et parce que l'histoire l'a faite grande."Mais il s'adressait aux élèves du cours moyen, et c'était en 1903. Il a fallu près de dix ans, et sept gros volumes, à Pierre Nora et aux 130 historiens réunis autour de lui dans la vaste entreprise des Lieux de mémoire (Gallimard, 1984-1997) pour souligner qu'au rebours des conceptions trop simples notre histoire est riche de plusieurs conceptions de la nation et de la République, et donc qu'il existe à la fois la France et des France.
Pour ne prendre qu'un exemple, que je crois probant, la seconde guerre mondiale ne fut pas autre chose que le combat de deux France, qu'il est légitime à chacun, fort de ses convictions, d'opposer ; il est même légitime de haïr l'une des deux. La repentance alors, loin d'être un acte masochiste, n'est-elle pas au contraire un acte de lucidité, de respect aussi devant le courage de ceux qui, de cette haine envers une certaine France, tirèrent la force de se battre contre elle et contre l'idéologie qu'elle servait, la force aussi de mourir, parfois de manière atroce ?
La repentance - celle des évêques de France en 1997 comme celle voulue deux ans plus tôt, au nom de la France, par celui qui en était le président - entendait simplement rappeler qu'il arrive que les institutions fassent, au nom de la raison d'Etat ou par erreur de jugement, des erreurs, dont les conséquences peuvent être terribles. Comme le disait un des principaux adeptes de la "mode exécrable" qu'il va être de bon ton désormais de dénoncer dans les palais de la République, "reconnaître les fléchissements d'hier est un acte de loyauté et de courage qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d'aujourd'hui et nous prépare à les affronter". L'homme qui a publiquement fait, en 1994, cette déclaration s'appelait Jean-Paul II.
L'histoire n'est la propriété de personne, et chacun est libre - dans les limites posées par la loi - de l'instrumentaliser comme il l'entend. Si la parole d'un président de la République pèse évidemment d'un poids particulier - surtout s'il prétend parler au nom de tous les Français -, rien ne l'empêche de faire l'histoire qu'il veut, et de faire de l'histoire ce qu'il veut. Il peut même, de manière plus générale, faire publiquement part de ses points de vue - il y a eu des précédents dans l'histoire - sur la génétique, sur l'existence de Dieu et, pourquoi pas, s'il en a envie, sur le cours des planètes.
Qu'il sache simplement que, pour ce qui nous concerne, l'histoire dont il rêve à voix haute n'a rien à voir avec celle des historiens. Sur ce front aussi, il conviendra donc d'être vigilant, et de ne pas laisser la mauvaise herbe de la mémoire officielle recouvrir le champ d'histoire que Jacques Chirac avait courageusement et utilement défriché.
Marc Olivier Baruch, historien, est spécialiste de la seconde guerre mondiale et directeur d'études à l'EHESS.
Article paru dans l'édition du 12.05.07
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